Éditorial Paul Journet

La pression monte, un tantinet

En 2010, les libéraux fédéraux proposaient de créer un poste d’ombudsman à la responsabilité sociale des entreprises. Ils ont répété cette promesse lors de la dernière campagne électorale, et ils l’ont réalisée il y a deux semaines. Cet ombudsman se penchera d’abord sur le secteur textile et extractif (mines, pétrole, gaz).

Le Canada devient un tantinet moins impuissant face aux possibles méfaits de ses multinationales à l’étranger. Comme il l’avait promis, le gouvernement Trudeau a créé un poste d’ombudsman à la responsabilité sociale des entreprises.

La simple expression peut rendre sceptique.

Les « ombudsmans » ne sont pas tous réputés pour leur dentition. On n’a qu’à penser à celui, gentillet, qui surveille les banques au Canada. Alors, comment croire qu’un ombudsman sera plus pugnace si on lui demande de surveiller des multinationales canadiennes à l’étranger ?

Et la « responsabilité sociale » n’est jamais loin des relations publiques. Bien sûr, une entreprise peut améliorer en même temps son image et le sort d’une collectivité. Elle réduit ainsi plusieurs risques pour ses affaires. Mais de façon générale, si une société préfère les codes d’éthique et l’autoréglementation, c’est parce qu’ils sont plus souples que les lois…

Malgré tout, l’annonce est positive. Elle marque un net progrès par rapport à l’ancien poste. En 2009, le gouvernement Harper avait créé un conseiller à la responsabilité sociale des entreprises extractives (mines, pétrolières, gazières).

C’était un eunuque. Il n’avait qu’un « pouvoir », celui de recevoir des plaintes et de proposer une médiation volontaire. La réponse des sociétés visées : non, merci… Alors le conseiller a démissionné, et les plaintes n’ont mené à rien.

Comme le réclamaient Avocats sans frontières, Amnistie internationale et d’autres groupes militants, le gouvernement libéral remplace ce poste par un ombudsman. Il aura le pouvoir d’enquêter, même en l’absence de plainte. Et ses conclusions seront rendues publiques. Il pourrait par exemple recommander que le Canada suspende son aide à une entreprise, en lui retirant l’accès aux services d’une ambassade ou du ministère du Commerce extérieur. L’ombudsman sera aussi épaulé par un comité-conseil, auquel siégera notamment un membre d’Amnistie internationale.

Mais cela ne transformera pas pour autant les sociétés canadiennes en vecteurs de « dignité, respect, diversité et tolérance », comme l’espère François-Philippe Champagne, ministre du Commerce international. Son scoutisme est un peu précipité.

Il faudra voir quelles ressources seront accordées à l’ombudsman. Et aussi, il faudra surveiller sa capacité à enquêter à l’international, dans des pays où la corruption est vive et la règle de droit est précaire. Cette tâche s’annonce immense.

On n’a qu’à penser au secteur minier. La majorité des sociétés minières mondiales sont incorporées au Canada, et ce n’est pas pour jouir de la sévérité de nos lois… Depuis 2000, ces minières sont associées à 44 morts et 403 blessés seulement en Amérique latine*. Et on ne parle pas des allégations de contamination de l’eau ou de travail forcé. On pourrait aussi parler du secteur textile, dont les conditions de travail scabreuses ont été révélées en 2013 par l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh.

Certains de ces cas ont mené à des poursuites sur le sol canadien. Par exemple, un recours a été déposé contre le fabricant de vêtements Joe Fresh pour ses activités au Rana Plaza, et un autre recours vise la société minière Nevsun, accusée d’avoir utilisé du travail forcé en Érythrée (les deux sociétés s’en défendent). De telles démarches sont longues et ardues. Il faut prouver que la société mère elle-même est responsable, et qu’un procès juste ne pourrait se dérouler dans le pays où les méfaits auraient été commis. Entre autres.

C’est justement à cause de la complexité des démarches judiciaires que le poste d’ombudsman constitue une bonne nouvelle. Il viendra ajouter un autre outil. Celui d’exposer publiquement les possibles méfaits des sociétés, pour renseigner les consommateurs et investisseurs, et pour mettre de la pression sur les gouvernements.

Du moins, c’est ce qu’on espère. Car pour qu’il soit utile, il faudra bien sûr qu’on l’écoute.

* Source : rapport de Projet Justice et Responsabilité des entreprises 

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